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L'histoire est-elle veuve de son amant peuple ?


Les Français, auteurs ou simples lecteurs de leur Histoire ?

Avez-vous le sentiment, Français, d’être un peuple qui, la plume à la main, compose le récit de sa propre destinée, dans tout ce qu’il a d’irrationnel, sur les pages vierges de ce livre éternel et universel qui a pour titre « Histoire » ? Pensez-vous que nous nous comportons en dignes héritiers d’un foisonnant passé dont la trace nous a été laissée au fil des siècles, marquée dans la pierre, dans les esprits et dans les coeurs ? Ou sommes-nous comme paralysés, amorphes ? Si la réponse est positive, et bien alors quels principes, quelles phobies, quelles lâchetés ou quels conformismes en sont responsables ? Partons d’un constat : l’histoire de France est d’une richesse incontestable. C’est ce qui en fait l’originalité, c’est ce qui la rend palpitante autant que fascinante. Cette profusion d’évènements et de phénomènes ont une conséquence néanmoins tragique : on s’y noie. La France est un pays d’instabilités, hier comme aujourd’hui. Guerres de religion, révolutions, luttes sociales, reculs autoritaires, désaccords passionnés, débats intellectuels enflammés, les symptômes sont nombreux. Les échos de cette agitation singulière sont parvenus jusqu’à nous et ils posent la question (existentielle ?) suivante : qui sommes-nous ? Ou plutôt, qui voulons-nous être ? Pour répondre à la première, l’Histoire nous éclaire. Pour répondre à la seconde, l’Histoire peut nous guider. Mais là encore, il y a des divergences. Pourquoi ? Tout simplement parce que notre passé est cette énorme boutique dans laquelle on peut trouver une myriade d’effigies exemplaires ou blâmables, d’exploits remarquables ou honteux, de drames traumatisants, d’idéologies progressistes autant que conservatrices.


Qu'en pense le philosophe Régis Debray ?


J’aimerais en effet que sur ce sujet passionnant l’on discute ensemble du livre de Régis Debray, publié en octobre 2015 chez Gallimard et intitulé Madame H.


Qui est cette grande dame anonyme ? Existe-elle encore ? Est-elle parmi nous là, maintenant ? Sommes nous auprès d’elle ? La réponse va de soi pour R. Debray. Non.


« Ne chipotons pas : au chapitre arts ménagers, confort et bien-être, le bilan est positif. Il en va autrement pour la France faite à coups d’épée. Au chapitre Lazare Carnot et général Leclerc, il y a eu après 1945 comme un blanc dans le texte. Certains y ont pris goût, avec le temps. La fatigue après l’effort. »

(Régis Debray, Madame H, chapitre I).


C’est l’un des passages les plus intéressants. Notre confort contemporain nous a, selon lui, fait perdre notre courage, notre pugnacité, notre conscience patriotique et notre goût du combat. L’Histoire c’est la guerre ou la guerre c’est l’Histoire. Préférons le terme de lutte, moins mortifère. Les deux sont consubstantiels. Les confidences de notre auteur sont introduites par un in medias res qui nous mène aux côtés d’un Führer touriste de la capitale française occupée et humiliée. Vive la Résistance, à bas les collabos et les lâches ! Un peu plus loin, c’est une Une du regretté France-Soir qui l’a marqué à jamais, « Diên Biên Phu est tombé ». La résignation de certains de nos militaires et dirigeants, la glorification des déserteurs, des vaincus, et la relative indifférence du peuple à cela, l’émeuvent de regrets et de honte. Que dire du regard que l’on porte sur nos exploits passés, laissons lui la parole de nouveau :


« (…) nous continuons pour notre part (nous Français, à la différence des Allemands par exemple) de célébrer la Légion à Camerone, Roland à Roncevaux, Jeanne au bûcher, Napoléon sur son rocher, les communards au mur des Fédérés. On a beau donner des médailles en chocolat au gagnant, le cœur gaulois en tient pour Poulidor. »

(Régis Debray, Madame H, chapitre II).


R. Debray fait le lien entre les événements plutôt humiliants (décolonisation) et les phénomènes bouleversants (construction européenne synonyme de perte de souveraineté et d’indépendance, allégeance à l’OTAN, mondialisation, avènement de la société de consommation) de la seconde moitié du XXème siècle, notre couardise actuelle et la façon dont la société française appréhende son héritage. Il a tendance à négliger l’intérêt que porte les Français pour leur histoire. On peut le remarquer grâce à la relative popularité des émissions, séries et films à caractère historique. Les gens consomment de l’Histoire, constamment. Les médias en usent pour distraire mais aussi pour instruire. Regardez dans les couloirs du métro parisien le nombre d’affiches « publicitaires » concernant telle ou telle exposition. Nous sommes également l’un des pays les plus touristiques au monde.


Un fois ce constat avancé : de quel public parle-t-on ? Qui regarde ces émissions ? Qui se rend dans les musées, dans les palais et les monuments ? Et surtout, avec quel intérêt ? Que dire de l’enseignement de notre Histoire dans l’École de la République ? Toutes ces questions, Régis Debray ne les aborde pas. Son texte est une prose poétique, parfois assez indigeste mais peu importe. Si votre culture générale est en mal de consistance, les références et les allusions qui égrènent son récit vont vous obliger à vous saisir d’un dictionnaire voire d’une encyclopédie pour répondre à votre soif de curiosité, ou à votre besoin de déchiffrer certaines formules.


Pourquoi parler de la présence de l’Histoire dans notre société ? Parce qu’elle est inhérente à la conscience que l’on a de ce passé, et de ce qu’on veut en faire : l’appréhender de manière indifférente ? en tirer des leçons ? s’en inspirer ? s’y référer ? Je parle ici d’un point de vue politique.


Un recul ou un phare pour le progrès ?


L’Histoire, nous dit Régis Debray, est un monde légendaire qui nous sert d’espérance pour l’avenir. Cela n’a échappé à personne : le « fait religieux » en France est quasi-inexistant. La déchristianisation de notre société a laissé un vide spirituel important qui n’est comblé par rien d’autre que notre consumérisme, notre goût pour l’ephémère et notre propension à baigner dans une indifférence chronique. C’est le sentiment qu’il éprouve. Où est le militantisme efficace ? Où sont les véritables ferveurs démocratiques ? L’Histoire nous donne foi (d’ailleurs il fait une comparaison entre la croyance en l’Histoire et la croyance en Dieu), elle nous fait prendre conscience que nous avons un devoir envers nous-mêmes et envers l’humanité. Tout cela est peut-être en train de changer. Les attentats de novembre nous ont fait prendre conscience, un peu plus, de notre identité. Le vide crée par notre abandon d’une croyance collective fédératrice serait à la base de nos problèmes d’intégration, certains décideraient donc de combler ce vide en prêtant allégeance à la folie meurtrière de Daech.


Les critiques ont été nombreuses dans le presse. La plupart sont négatives sinon dubitatives. Certains osent des comparaisons intellectuellement simplistes, parlant de « zemmourisation » des esprits ou, pour être plus générique encore, de droitisation des consciences. D’autres (les mêmes en réalité) reprochent à l’auteur de professer à tout va la fameuse formule « C’était mieux avant »… d’accord ou pas d’accord avec Régis Debray, la question qu’il se pose à lui-même à travers ce livre se pose également à nous : quel rôle voulons nous jouer dans ce monde complexe et mondialisé ? Qui voulons-nous être ?


Nous avons de nombreux défis à relever, des défis qui EXIGENT une volonté politique qui n’a pour seule devise que le courage : lutte contre le réchauffement climatique, ou pour les quelques individus qui n’y croient pas, contre la dégradation de notre environnement ; lutte contre la menace terroriste à travers notamment une diplomatie contraignante envers certains de nos « alliés », de nos « amis » du monde arabo-musulman, contre leur hypocrisie flagrante et connue ; lutte pour plus de démocratie et d’indépendance ; lutte contre les lobbies anti-démocratiques...


L’Histoire nous regarde, et nous jugera.


Je vous conseille la lecture ce livre bien évidemment, pour vous faire votre propre et respectable opinion. Le débat est lancé !


Je terminerai par une autre citation de Régis Debray qui résume véritablement sa pensée :


« Nous avons abandonné l’économie du salut en cherchant notre salut dans l’économie ».

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