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Les visages de l’effroi hantent le musée de la Vie romantique

Une fois de plus, les musées de la ville de Paris s’adonnent à se faire peur. Deux ans après l’exposition au musée d’Orsay sur le Romantisme noir, les romantiques visitent une nouvelle fois la noirceur de l’âme. C’est désormais les thématiques de la violence et du fantastique dans la peinture du XIXème qui sont au rendez-vous, cette fois au musée de la Vie romantique, avec son exposition « Visages de l’effroi ».


Ancienne demeure du Peintre Ary Scheffer, qui recevait chaque vendredi dans son atelier-salon l’élite artistique et littéraire (George Sand, Chopin, Delacroix, Dickens, etc.). La demeure abrite le musée de la Vie romantique.

Affiche de l’exposition temporaire « Visages de l’effroi ». Exposition née de l’association du musée de la Vie romantique et du musée de la Roche sur Yon.



Plus de cent tableaux, dessins et sculptures composent ce parcours dédié aux amoureux du romantisme fantastique et noir. L’accrochage, qui présente des oeuvres de David, Girodet, Géricault, Ingres, ou encore Delacroix, montre notamment le passage d’une violence dramatique et maîtrisée à un romantisme fantastique et noir. Car si le romantisme - courant qui apparaît en France à l’extrême fin du XVIIIème ou au tout début du XIXème - va connaître des formes charmantes, il va aussi connaître des formes plus obscures et plus sombres. C’est l’objet de cette exposition.

Le contexte politique et social : Le « mal du siècle », ou le désenchantement d’une génération


« On ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris »

La Confession d’un Enfant du siècle, Alfred de Musset


Le romantisme exprime le désenchantement d’une génération qui s’est construite sur les ruines de l’Ancien régime et sur la tourmente révolutionnaire. Les guerres napoléoniennes marquent tout autant l’imaginaire collectif. Face à l’échec du héros, cette épopée se termine dans un grand désenchantement pour cette jeunesse née avec ce siècle. La mélancolie et la terreur quotidienne deviennent des éléments qui marquent les représentations picturales qui vont suivre. Les artistes commencent à explorer la part obscure de l’âme humaine. Car si le romantisme obscur renvoie à des formes fantastiques de la représentation, il rend aussi la représentation très crue de la violence.

C’est l’entrée dans la part sombre de l’art du XIXème siècle. L’esprit des Lumières et le règne de la raison laissent place aux forces occultes. La terreur n’est plus un sujet privilégié de la peinture d’histoire, mais une réalité. Désormais, pour représenter les scènes macabres, les palettes des artistes ne sont constituées que de couleurs terreuses. Seule la couleur rouge vient rehausser ces scènes saisissantes de réalisme, le rouge éclatant du sang.


La Révolution et son lot de têtes coupées ne furent pas un sujet très développé par la peinture, mais davantage par des techniques plus rapides, dessin et gravure. La tête de Louis XVI est ainsi brandie sur papier par Louis-Jules-Frédérique Villeneuve qu’il intitule Matière à réflection pour les jongleurs couronnées.

Théodore Géricault, Étude de pieds et de mains. Les artistes se servaient de membres issus de la morgue comme modèle, pour rester le plus fidèle possible à la réalité. Ici, ces pieds et ce bras formant ce puzzle de membres humains ont étés empruntés à la morgue.



L’expression du tourment et de l’irrationnel : une nouvelle iconographie qui renouvelle l’histoire antique


Ces bouleversements politiques installent une vision plus manifeste de l’horreur, qui investit la peinture d’histoire. Les artistes arpentent alors des épisodes de l’histoire antique. L’influence de l’antiquité est prégnante. Elle s’observe avec la présence de personnages aux visages fermés, qui portent casques et armes, résolus face à l’adversité et l’imminence de la guerre. Des corps dénudés aux muscles saillants rappellent l’idéal de beauté grec. Mais il existe une réelle différence entre la peinture antique et celle du XIXème: le sujet n’est plus celui de la noblesse d’un acte héroïque. Celui-ci laisse place aux représentations de meurtre ou de désir de vengeance. Cette notion de bestialité se retrouve sur les différents tableaux ci-dessous.




















Tableau 1 : Eugène Delacroix, Roméo et Juliette devant le tombeau des Capulets, 1855


Tableau 2 : Jules Eugène Lenepveu, La Mort de Vitellius, 1847



Tableau 1 : Charles Desains, Femme asphyxiée, 1822


Tableau 2 : Charles Brocas, Le supplice de Prométée, 1830



Un goût prononcé pour les faits divers


Sous la Restauration, l’émergence de la grande presse diffuse largement les faits-divers sanglants. Déjà au XVIIIème, on sait que le sang fait vendre du papier. Ces épisodes passionnent les artistes, qui en font un sujet de représentation. Le plus bel exemple pour cette période est l’intérêt de Théodore Géricault pour ces épisodes tels que celui du Radeau de la méduse. Pour réaliser sa toile, l’artiste s’inspire d’un fait divers qui touche profondément la France. À cause de l’incompétence d’un capitaine, la frégate Méduse et trois autres bateaux transportant des colons français font naufrage dans l’Océan indien. Ce capitaine, réintégré à la marine par faveur du roi, n’avait plus navigué depuis vingt-cinq ans. Il installe son équipage dans les canaux de sauvetage, qui traînent derrière eux un radeau de fortune avec 149 passagers. Le fil se coupe, et le capitaine et son équipe abandonnent les 149 hommes. Après 13 jours de dérive sans eau et sous un soleil brûlant, seuls quinze survivants du radeau sont sauvés. Géricault travaille plus d’un an sur cette composition. Il réalise un travail très rigoureux, interroge les survivants et étudie des corps putrides à la morgue. Son tableau, exposé au salon de 1819, reçoit une critique négative pour son style: les tons sombres, les corps livides, le sujet tragique, ne renvoient ni à l’histoire ni à la mythologie. L’artiste s’intéresse aussi à l’affaire Fualdès, crime crapulo-politique (l’enlèvement du procureur de Rodez dont le cadavre est jeté dans l’Aveyron). Géricault esquisse les différents protagonistes presque nus à la manière antique, même si le sujet est actuel. Théodore Guéricault, pourtant désireux de faire entrer ce fait divers dans l’histoire, n’exécutera jamais le tableau, et s'en tiendra à cette série de dessins préparatoires.


Théodore Géricault, Scène de la mort de Fualdès, 1817-1818.


Les Affres de l’au-delà : tentative d’un dialogue entre la vie et la mort afin de transcender la peur


"Croyez-vous aux fantômes ? – Non, mais j'en ai peur." Ainsi répondait Marie de Vichy-Chamrond, (marquise du Deffand, épistolière et salonnière française), à son ami Horace Walpole, auteur du premier roman noir, Le Château d’Otrante. Se mêle dans sa réponse l'incroyance à la superstition, l'effroi au plaisir, la distance ironique à la libération des sens, et permet de saisir toute la complexité du romantisme noir.


En 1764, Horace Walpole publie Le Château d’Otrante, qui met en scène des épisodes avec des fantômes, des revenants. Cette iconographie intéresse les artistes qui prennent goût au surnaturel qui fait émerger spectres et fantômes, mis en scène au côté d’une réalité crue. Ce goût est partagé par la littérature et la poésie de l’époque, puisque « à cette époque, les peintres et les poètes vivaient familièrement ensemble, et c’étaient d’un art à l’autre d’incessants et profitables échanges. Le poète prenait quelque fois le crayon et le peintre la plume » rappelle Théophile Gautier. Ce faisant, les peintres renversent l’ordre artistique bâti dans le giron de l’Académie. Les tableaux de Boulanger et Delacroix lors du Salon de 1827 témoignent de ce changement de valeurs. Les artistes s’affranchissent de la bienséance : Boulanger en présentant Le Supplice de Mazeppa, Delacroix La Mort de Sardanapale. Ce dialogue avec l’au-delà s’incarne en particulier dans les interprétations du mythe d’Ossian. Le mythe de Dante intéresse aussi les artistes romantiques, en particulier Delacroix.


Louis Boulanger, La Ronde du sabbat, 1825.


Des visages, toujours remplis d’effroi


La représentation de la violence n’a rien d’évident. Le contraste des œuvres réunies dans l’exposition est saisissant. Certains artistes choisissent de l’exprimer par les corps qui se débattent. D’autres se concentrent sur l’expression des visages et des passions de l’âme, comme c’est le cas de Claude-Marie Dubufe avec son oeuvre La lettre de Wagram (tableau ci-contre). Une larme roule sur la joue rose d’une jeune femme. Elle a reçu une lettre lui annonçant la mort au combat de son époux, lors de la bataille de Wagram.


Tous les visages ont une similitude : leurs traits portent les douleurs du corps et du coeur. Cette douleur du tréfonds des âmes des personnages nous saisit brutalement de par sa puissance. Que les visages se détournent vers un coin d’ombre de la toile, ou qu’il nous regardent droit dans les yeux, cette puissance reste la même.



Émile Signol, Folie de la fiancée de Lammermoor, 1850.

Léon Cogniet, Tête de femme et d’enfant, Esquisse pour la Scène du Massacre des Innocents, vers 1824.


Cette puissance est particulièrement visible dans l’oeuvre saisissante de Fortuné Dufaut, comme nous pouvons le voir sur ce tableau :

Fortuné Dufaut, La mort d’Ugolin, 1800

Pourquoi faire cette exposition ?


Si vous êtes réticents à l’idée de vous rendre à cette exposition, considérant qu’un musée sur des visages de l’effroi risque d’assombrir votre dimanche, il est encore temps de changer d’avis ! Certes, il existe des sujets plus joyeux, je vous l’accorde. Mais cette exposition a un mérite : celui de rétablir certaines vérités concernant le XIXème siècle. L’image du Romantisme en France est bien souvent idéalisée. Le XIXème nous apparait bien souvent comme étant un siècle de renouveau, dans lequel germe de nouveaux espoirs. Cette exposition a même un deuxième mérite ! Au delà des grandes figures artistiques de la période, elle affiche la volonté de faire émerger des oeuvres artistes méconnus, inconnus. Un véritable travail de défrichage est mis en oeuvre pour remettre ces oeuvres aux yeux du public, à vos propres yeux ! Toutes les raisons sont donc réunies pour venir vous faire admirer la beauté de l’horreur au musée de la Vie romantique.

Dépêchez vous ! Il ne vous reste plus que quelques jours pour vous y rendre !

(jusqu’au dimanche 28/02)


Bonne visite !



Informations pratiques :

Musée de la Vie Romantique : Hôtel Scheffer-Renan - 16, rue Chaptal - Paris 9e.

Horaires : Ouvert tous les jours de 10 à 18h, sauf les lundis et jours fériés.

Accès : métro Saint-Georges, Pigalle, Blanche, Liège. Bus 67, 68, 74.

Visite - Tel : 01 55 31 95 67

Tarif : 7 € - 5 €


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